Posté à 17h00
Le CISSS accuse son employé de racisme. En mars 2021, Sylvie Bellemare a invité une patiente, Jocelyne Ottawa, à chanter chez Atikamekw. Elle lui avait demandé s’il s’appelait Josh dans sa communauté. Ça avait l’air mauvais. Encore. Donc tolérance zéro. Les efforts de Mme Bellemare pour inclure Mme Ottawa dans le traitement, pour lui montrer son intérêt, ses efforts pour la faire rire, l’entraînement qu’elle avait fait 12 jours plus tôt et dont elle mentionnait des surnoms communs aux autochtones, aucun n’avait d’importance. Il fallait calmer le jeu, apaiser les médias et les politiciens. L’enquête interne a été précipitée, pour ne pas dire bâclée. La sanction a été décidée avant même que Mme Bellemare et sa collègue Julie Duchemin ne soient exécutées. L’ordre était clair : si les mots étaient prononcés, les infirmières seraient licenciées immédiatement. Le contexte n’a pas d’importance. Ce n’était pourtant qu’une maladresse. Grosse erreur de Sylvie Bellemare. Cela, même le CISSS de Lanaudière l’admet aujourd’hui. Mais cela ne change rien, a déclaré l’avocat du CISSS François-Nicolas Fleury devant un tribunal arbitral le 26 mai. Même sans intention de nuire, l’erreur était grave. Absence de crise, abîme. Et le licenciement, justifié. “C’est trop gros pour être justifié. C’est impardonnable. » Dans l’absolu, on aurait peut-être pu excuser l’infirmière pour sa maladresse. Mais selon le CISSS, il faudrait tenir compte des conditions. « Le contexte change complètement la donne », a insisté Me Fleury devant l’arbitre Dominique-Anne Roy, qui doit décider si le congédiement de Mme Bellemare était abusif. Ce contexte est bien sûr la crise provoquée par le décès de Joyce Echaquan à l’hôpital Joliette, six mois plus tôt. Le CISSS s’est à peine remis de ce drame qui l’avait rendu très laid. Il avait fait de grands efforts pour rétablir les ponts avec la communauté atikamekw de Manawan. Et puis un autre scandale a éclaté. L’établissement est replongé dans la crise. Sa renommée s’arrête, une fois de plus. Pour le CISSS, le congédiement de Sylvie Bellemare était donc entièrement justifié par le contexte plus large dans lequel ses propos ont été prononcés. Paradoxe : le CISSS lui-même, au moment du congédiement, a complètement ignoré les circonstances dans lesquelles l’infirmière a dit ce qu’elle a dit… Il n’y a pas de tolérance zéro en droit du travail. Cela n’existe même pas dans le code de déontologie des infirmières. Cela ne se retrouve nulle part dans la Mission et les Valeurs du CISSS de Lanaudière. Cette intolérance vertueuse qui ne souffre pas de teintes est une formule, une réponse politique à un problème laissé pourrir. “Je suis toujours étonnée de la hauteur et de la franchise qu’exige une infirmière. “Ça frôle l’hypocrisie dans ce cas”, a déclaré Alexandre Grenier, avocat à l’Association des infirmières et infirmiers du Québec. Voulez-vous vous rappeler que l’ancien PDG du CISSS Daniel Castonguay a été congédié après avoir affirmé qu’il ignorait complètement le racisme à l’hôpital Joliette? Comment l’establishment peut-il désormais exiger la perfection absolue de ses employés après avoir honteusement négligé ses devoirs envers les indigènes pendant des décennies ? Comment ne pas conclure que le CISSS a sacrifié deux infirmières dans l’espoir de protéger sa réputation et d’oublier les travers du passé ? Bien sûr, un syndicat défend ses membres. C’est son boulot. Mais dans le cas de Joyce Echaquan, l’union n’a pas été renforcée. Il n’avait pas à défendre les sans-défense. Cette fois c’est différent. Le congédiement de Sylvie Bellemare et Julie Duchemin a été un choc. À Joliette, médecins et infirmières ont pris leur stylo pour montrer le professionnalisme et le dévouement de leurs collègues. Et de s’inquiéter du fossé qui se creuse entre le personnel soignant et les autochtones. Paradoxalement encore : le CISSS a licencié précipitamment deux infirmières pour éviter que les ponts reconstruits après le décès de Joyce Echaquan ne s’effondrent. Cependant, ces licenciements ont fragilisé la structure. À cause de ces punitions extrêmes, plusieurs infirmières ont peur de soigner les Atikamekw. Ils ont peur de perdre leur emploi pour un mot mal prononcé. Last but not least : a-t-on vraiment entendu Jocelyne Ottawa dans ce dossier ? Devant l’arbitre, elle a avoué son regret d’avoir écrit quatre ou cinq lignes sur Facebook. Amère, elle a dit que son histoire avait été capturée par d’autres. Son état s’est complètement échappé. Jocelyne Ottawa souhaite aux deux infirmières un retour au travail. Le CISSS prétend qu’il ne lui appartient pas de décider de la sanction qui sera imposée à ses employés. Cela n’a rien à dire, rien à voir avec cela. Techniquement, le CISSS a raison. Mais comment dire… Cela semble également faux, dans le contexte.