Posté à 17h00

Véronique et son copain Simon ont une maison quelque part à Montréal. Un yard. Dans la cour, un arbre avec une corde pleine de nœuds, pour que leurs deux filles se balancent, collée dessus avec leurs pieds. La maison est grande. Et quand l’Ukraine a été attaquée par les Russes, quand ils ont vu la catastrophe, quand ils ont vu les familles fuir les bombes, Véronique et Simon se sont sentis impuissants, comme tout le monde. En tant qu’homme, en tant que femme, que voulez-vous faire pour contenir les piqûres de l’histoire ? Rien, vous ne pouvez rien faire. La désapprobation d’hommes et de femmes bien intentionnés, partout dans le monde, n’a aucun impact sur les compétitions géostratégiques de mesure des semences des bigots qui gouvernent le monde … Véronique : « J’ai dit à mon ami : je veux accueillir des réfugiés ukrainiens… » Simon a dit: “D’accord, vas-y. Le couple a accepté d’accepter la mère et l’enfant, pensant qu’ils resteraient dans la pièce vide à l’étage. Ce serait sa petite contribution pour tenter de rétablir l’ordre mondial. Et de fil en aiguille – le bouche à oreille – quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît une couturière ukrainienne (l’un entraîne l’autre je dirais) – nous avons proposé à Veronica et Simon d’accueillir une Ukrainienne qui viendrait bientôt à Montréal avec le enfant de… Puis, la veille, la dame nous a appelé et nous a dit que ça ne fonctionnait plus. Mais il cherchait désespérément une famille pour accueillir une famille ukrainienne, leur père, leur mère et leurs deux filles… Et un garçon de 20 mois. Simon Simon et Veronica se regardèrent : Christie, on ne les mettra nulle part, on n’a pas de place… Ils allaient décliner. Ensuite, leur contact a envoyé une description de cette famille ukrainienne. Les deux filles ? Elles ont exactement le même âge que les deux filles de Simon et Véronique, dans quelques semaines… L’aînée du couple ukrainien s’appelle Sophia. Le prénom de l’aînée de Simon et Véronique : Sophia. Si ce n’est pas le destin, ça… Bon, là, Simon et Véronique sont descendus au sous-sol, ont regardé l’aménagement de l’espace, se sont demandé si, en ramassant un peu de meuble, on ne pourrait pas… Photo par Dominick Gravel, LA PRESSE Lorsqu’ils ont quitté Kyiv, la petite famille ukrainienne s’est d’abord réfugiée dans le cottage familial de Yulia. Il pourrait être. Ainsi, depuis maintenant deux semaines, Oleksii, Yulia et leurs enfants Sofia, Barbara et Andreï habitent le sous-sol de la maison de Véronique et Simon à Montréal. Pendant la semaine, les Ukrainiens vivent au sous-sol. Ils ont accès à la cuisine, au rez-de-chaussée, les deux familles vivent en parallèle. Le samedi et le dimanche, les deux familles se côtoient au rez-de-chaussée et dans la cour, prenant leurs repas ensemble. « L’idée, dit Véronique, c’est de ne pas se marcher sur les doigts. Durer…” Je suis allée rendre visite aux deux familles très récemment dans la cour de Véronique et Simon. Les filles couraient partout, des petites Québécoises et des petites Ukrainiennes qui ressemblaient à quatre sœurs : cheveux noirs, yeux marrons, la même énergie inépuisable. Photo par Dominick Gravel, LA PRESSE “La maison me manque”, dit Julia. Oleksii est très bon en anglais. Pour Julia, c’est plus difficile. Heureusement, il y a Google Translate sur le téléphone. On m’a raconté le choc du 24 février lorsque la Russie a envahi leur pays. Julia : “C’était le bruit d’une bombe qui nous a réveillés. Émotion : l’incrédulité, d’abord. Je dois souligner qu’avant l’invasion de l’Ukraine, peu de gens croyaient que Poutine ne bluffait pas. Oleksii : “Au pire, on s’est dit, il essaiera d’avoir le Donbass…” Sauf que non, c’était la guerre partout, avec l’ambition de voler toute l’Ukraine aux Ukrainiens, d’occuper Kyiv en deux jours. Ils m’ont raconté leur départ de la banlieue de Kiev avec trois sacs à dos et leurs trois enfants, le vol vers le chalet familial de Julia, un chalet qui était déjà plein à leur arrivée, plein de membres de la famille, d’amis et d’inconnus. On m’a dit qu’au début il n’y avait rien à manger, qu’il fallait mendier dans le quartier… Oh j’ai oublié. Oleksii est biologiste. Elle a travaillé en FIV dans trois centres autour de Kyiv. Il lui a fallu du temps pour descendre à la cabane, car il avait décidé d’aller congeler des embryons, se sentant responsable des rêves des parents-clients de ces cliniques… Photo par Dominick Gravel, LA PRESSE Oleksii, un biologiste, s’est vu offrir un contrat de six mois dans une clinique de fertilité à Montréal. Le chalet – Dhaka, comme on dit – était bondé. ” Comment était ? “ L’Ukrainien cherche ses mots, il échoue. Il décroche son téléphone, trouve Google Translate, saisit des mots, me montre la traduction : « Les problèmes unissent les gens ! Tout le monde voulait survivre. Il n’y avait que de la solidarité. » Le train pour la Pologne, on dit que les Ukrainiens en âge de combattre quittent le train à la frontière, pour rentrer chez eux. Oleksii a pu quitter l’Ukraine pour une seule raison : il a trois enfants. Sous la barre des trois enfants, on vous a interdit de quitter le pays. Après la Pologne, nous avons dû décider où aller, dit Oleksii. Danemark? Mexique? États-Unis ? Canada? Le biologiste a envoyé des messages à tous ses contacts étrangers dans le monde de la fertilité. C’est un Montréalais qui lui a répondu en lui offrant un contrat de six mois ici… S’ensuit un long carrefour géographique et bureaucratique – de la Pologne à la Slovaquie, en passant par l’Autriche, l’Allemagne et la France – pour obtenir des documents pour le Canada. Ils débarquent finalement le 9 mai, direction Blainville, pour un hébergement temporaire. À 12 ans, Oleksii était au travail, en fertilité, dans une clinique à Montréal… Je les ai écoutés, et ça m’a fait mal devant leur parcours, face aux bouleversements que vit cette famille depuis le 24 février. Veronica et Simon ont servi des crudités et des saucisses, puis les petites filles ont cessé de courir dans la cour pour venir manger. Oleksii m’a montré des photos de la vie de famille en Ukraine avant et après l’invasion. Il a salué la générosité des gens qui, comme ses hôtes, accueillent et aident des gens comme lui et sa famille. Julia voulait dire quelque chose, elle cherchait ses mots, je lui ai dit : « Va sur Google Traduction, Julia… » Il tapait des mots, il m’a montré l’écran : “Je veux étudier, parce que je suis déprimé et que la maison me manque. Mais nous ne pouvons pas rentrer à la maison. » Il veut apprendre le français le plus vite possible, s’intégrer. Photo par Dominick Gravel, LA PRESSE Sophia s’amuse dans la cour de Véronique et Simon. Dans la grande cour de Simon et Véronique, je regardais ces deux familles. Je les ai tous notés, les petits cris de joie des quatre petites filles qui couraient et les mots des parents, beaux et géniaux. Et j’ai pensé aux mots de Gilles Vigneault, si souvent quand il s’agit de ces gens du monde entier qui débarquent ici, pour mille et une raisons… De ce grand pays solitaire je pleure avant de me taire A tous les hommes de la terre Ma maison est ta maison Entre les quatre murs de glace Je passe mon temps et mon espace Préparer le feu, la place Pour les gens à l’horizon Et les gens sont elle de ma race Julia, je t’ai traduit ces mots, pour que tu puisses les lire dans cette chronique, j’espère qu’ils apaiseront ta tristesse, qui je sais est énorme : De ce grand pays solitaire, je crie devant le silence à tous les peuples de la terre. Ma maison est…